« Le pastel, mariage d’amour de la couleur et du dessin »
José de Hérédia
Je vais vous parler de pastel sec dans toute sa singularité : ni vraiment dessin ni tout à fait peinture.
Le pastel, c’est une rencontre avec la matière.
Une rencontre directe, frontale, sans intermédiaire, du bout des doigts !
Quelques grammes de couleur pure en suspension, comme en équilibre sur le papier, pour un résultat fragile et volatil, tantôt vibrant de couleurs, tantôt doux et velouté, tantôt écrasé comme une pâte, tantôt aquarélisé au pinceau…
J’ai hésité sur le contenu de cet article… Je voulais vous raconter l’histoire du pastel sec d’hier jusqu’à nos jours.
Mais, je me suis apperçue, en promenant sur le net, que ce côté « historique » avait été traité encore et encore par beaucoup de monde !
Alors, quels meilleurs ambassadeurs que les artistes pour parler du pastel ? Leurs oeuvres nous racontent cette histoire bien mieux qu’un long discours ! Donc, voici en images, la désormais longue histoire d’amour entre le pastel et les artistes à travers les âges…
Mais de quoi parle t’on ?
Définition du terme « pastel »
Le pastel est un bâtonnet de couleurs utilisé en dessin et en peinture mais il n’est ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre ! Il est à part, inclassable, multiforme, du vaporeux de l’estompe aux hachures les plus vigoureuses, en passant par l’ondulation, la virgule et le pointillé.
Uniquement composé de pigments purs (minéraux, organiques ou végétaux) et d’une charge (craie ou plâtre) c’est le type de liant utilisé (huile, cire ou gomme arabique) qui transformera ce petit bâtonnet, en deux variétés bien distinctes et différentes : les pastels secs et les pastels gras.
Ici, je ne vous parlerai que de pastel sec, et pour cause ! Les pastels gras, liés comme leur nom l’indique, avec de l’huile ou de la cire, et dont la texture rappelle beaucoup le rouge à lèvres, demandent une technique très différente de celle des pastels secs et ce n’est pas mon domaine !
La Renaissance italienne, les origines
Jusqu’à la fin du Moyen Âge, la couleur reste l’apanage de la peinture. Seules les teintes noires des fusains, blanches des craies ou le sépia des sanguines, sont utilisées par les artistes pour réhausser leurs dessins.
En 1499, Léonard de Vinci évoque un nouveau mode de « coloriage à sec » que lui aurait révélé Jean Perréal, artiste venu à Milan avec Louis XII. Mais faute d’une iconographie sûre, je n’ai pas d’oeuvres à vous montrer !!! Ce dont on est sûr, c’est que peu à peu, ces petits bâtons de multiples couleurs vont se répandrent.
Même l’origine du nom « pastel » est incertaine… En effet, plusieurs explications ont été avancées : « pastel », comme la teinte bleue du pastel des teinturiers, une plante dont on extrait une teinture du même nom. Ou bien, le mot italien « pasta » ou le latin « pastillus », qui signifit « petite galette de pâte », les pastels secs étant fabriqués à partir d’une pâte, obtenue en broyant le pigment pur avec plus ou moins de craie, de kaolin ou de plâtre, puis mis à sécher sous forme de bâtonnets.
En tout cas, le pastel sec existait alors dans un tout petit nombre de teintes (blanc, noir et tous les ocres) et il n’était alors qu’un complément du dessin où il servait de rehaut. Les artistes se servaient de ces craies pour réaliser leurs esquisses préparatoires, comme dans l’oeuvre de Léonard de Vinci ci-dessous :
Bientôt, ils offriront aux artistes des couleurs prêtes à l’emploi, sans mélange préalable contrairement à la peinture, avec une grande variété de couleurs, des plus violentes aux plus délicates. La fabrication de cette pâte, à partir de pigments colorés assemblés avec une matière liante, restera le secret des plus grandes maisons de fabrication, dont certaines tiennent toujours le haut du pavé aujourd’hui.
Mais il faudra attendre la fin du XVIIème et surtout le XVIIIème sous le règne de Louis XV, pour que la pastel obtienne véritablement ses lettres de noblesse et devienne un art à part entière !
Le XVIIIème et la naissance de l’art du pastel
C’est au XVIIIème siècle que le pastel sec atteint une apogée jamais égalée depuis.
La technique du pastel sec est couramment utilisée alors dans l’Art du portrait et plus précisément le portrait de Cour. Les caractéristiques techniques du pastel sec sont bien adaptées au portrait. En effet, l’absence de liant (huile ou autre) dans le pastel sec restitue les couleurs avec un maximum d’intensité et de vivacité. De plus, c’est une technique rapide, immédiate et instantanée, qui permet de saisir le vivant de manière efficace et réaliste.
Le pastel se transportait facilement, car peu encombrant et très léger, et permettait un travail d’esquisse rapide mais soigné : certains détails, comme la couleur de la carnation, des cheveux, des étoffes sont saisis sur le vif ! N’oubliont pas que le portraitiste de l’époque travaillait uniquement sur modèle vivant, la photo n’existant pas !
Dans ce portrait au pastel de Charles Le Brun ci-dessous, peintre sous Louis XIV, on peut noter le tracé rapide, comme esquissé de la chevelure et du costume ainsi que l’absence de décor de fond. L’artiste s’est concentré sur l’expression et le modelé du visage, l’étude de la carnation et le regard du célèbre écrivain Charles Perrault, l’auteur des célèbres « Contes de Perrault » :
Ce pastel est une étude préparatoire à un portrait plus abouti et réalisé à l’huile dans un second temps, mais bientôt, sous l’impulsion de nouveaux portraitistes du règne de Louis XV, le pastel va passer du statut d’oeuvre préparatoire à chef-d’oeuvre !
Dans ce second portrait de la fin du Grand siècle, le peintre Joseph Vivien nous offre une oeuvre splendide, un portrait délicat, ciselé comme un bijou d’orfèvrerie, avec un travail parfaitement abouti et maîtrisé du portrait « classique » !
L’artiste nous fait la preuve de sa grande maîtrise de la lumière et de l’art du portrait, la soutane et le fond sombre quasi monochrome renforcant le contrast avec les tons chairs, mettant ainsi le visage sous les feux de la lumière et de notre attention !
Outre le rendu parfait de la délicatesse des tons chairs de la carnation des visages de l’époque (la mode était alors aux teints pâles et laiteux), les grains de pigment donnent une texture veloutée incomparable, presque charnelle, restitue à merveille le poudré des perruques (alors très en vogue) et des visages nobles ainsi que le soyeux et le chatoyant des tissus précieux !
Qui d’autre que le célèbre Maurice de Quentin de la Tour pour conclure sur cette période triomphante du portrait au pastel, avec ce non moins célèbre tableau du roi Louis XV !
La révolution française viendra brutalement stopper cette ascension et reléguer le pastel dans la catégorie » art poussiéreux et désuet », symbole d’une époque honnie et révolue ! Il faudra attendre le milieu du XIXème, pour voir une nouvelle génération d’artistes redécouvrir le pastel et le remettre au goût du jour, sous de nouvelles formes et selon des techniques innovantes qui casseront tous les codes du classissisme pour mieux annoncer les Modernes !
Le XIXème et le pastel dans tous ses états !
A partir du XIXème, le pastel sec débute une profonde mutation : il sort du cadre exclusif du portrait destiné à la noblesse pour se « populariser », pour devenir le sujet d’expérimentation d’une génération d’artistes influencés par les progrès techniques et les mutations profondes de la société.
En premier lieu, il se démocratise et se féminise : Dès l’après révolution, par son côté « facile », moins technique que la peinture à l’huile et moins salissant, il devient une technique dite « féminine », comme en témoigne la grande quantité de femmes artistes pastellistes au XIXème, dont Elisabeth de Vigée ci-dessous :
Loin de se cantonner à un seul genre, celui du portrait de Cour, il explore de nombreux genres et sujets, paysage, scènes de vie croquées sur le vif, nus, visions fantastiques et symboliques, portraits mondains, etc. La magnifique exposition en 2017, « L’Art du pastel de Dagas à Redon » au Petit Palais, illustre ce renouveau du pastel durant la seconde moitié XIXe siècle avec de nombreux artistes comme Berthe Morisot, Auguste Renoir, Paul Gauguin, Mary Cassatt et Edgar Degas, des artistes symbolistes comme Lucien Lévy-Dhurmer, Charles Léandre, Alphonse Osbert, Émile-René Ménard et un ensemble particulièrement remarquable d’œuvres d’Odilon Redon, mais aussi l’art plus mondain d’un James Tissot, de Jacques-Émile Blanche, de Victor Prouvé ou Pierre Carrier-Belleuse.
Le mouvement impressionniste
Avec le mouvement impressionniste et les études sur la lumière, l’optique, les couleurs, ses techniques se multiplient et ses sujets aussi : autant à l’aise dans les paysages que dans les natures mortes, dedans que dehors, le pastel, médium multiforme, participe au mouvement créatif du moment et devient vraiment un genre à part entière.
Cette scène « plein air » de Berthe Morisot a des airs de Renoir avec des traits et des hachures de pastel qui font comme vibrer l’air, sentir le vent et le mouvement de cette nature autour des personnages juste suggérés.
Dans cette oeuvre d’Odilon Redon, le paysage des terres de son enfance, à proximité de Peyrelebade dans le Médoc, est peint de façon austère, minimaliste, dépouillé, intégrant le village comme un ilôt à peine suggéré dans un univers presque monochrome.
Avec Edgar Degas, ce sont plus de 700 pastels qui verront le jour, devenant à la fin, son médium de prédilection. Il aura exploré toute les richesses artistiques de ce dernier, aquarelisant, écrasant, superposant les couches de pastel, afin de créer ces effets de transparence caractéristiques. Dans sa série consacrée aux ballets, la composition, les artifices du spectacle, les fards, les frousfrous, rappellent l’usage du pastel, par son caractère volatile et son intensité chromatique et lumineuse, qui s’adapte particulièrement, à rendre, voire à réinventer ce rêve que constitue le spectacle.
Le pastel contemporain
De nos jours, le pastel est une VRAIE technique. Un art à part entière. Que ce soit dans les paysages, les natures mortes ou l’abstrait, il s’adapte aux techniques mixtes et aux expériences artistiques les plus audacieuses ! Pastel tendre et gouache, pastel sec et encre, pastel sec et aquarelle, pastel sec et acrylique ou pastel sec et huile… Il devient ce médium polyvalent et exceptionnel qui nous fascine tous ! Voici quelques exemples parmi les artistes actuels que j’aime particulièrement, que ce soit dans le domaine du portrait, du paysage ou de l’abstrait :
L’hyperréalisme
L’abstrait
Les paysages
Si ces quelques exemples vous ont plu, je vous invite à faire un tour sur le site de la Société des pastellistes de France pour découvrir la richesse et la grande variété des pastels proposés.
Pour conclure
Et vous ? Qu’en avez-vous pensé ??? Je ferais bientôt une série de portraits d’artistes modernes, contemporains ou plus classiques.
Je vous présenterai leurs oeuvres, leurs techniques, tout ce que nous pouvons apprendre de leurs chefs-d’oeuvre, histoire d’améliorer notre propre pratique ou tout simplement nous régaler les yeux ! Que diriez-vous d’apprendre à peindre un paysage aux pastels à la manière de Van Gogh, de Degas ou de Redon ???
En attendant de vous lire dans les commentaires ci-dessous, je vous dit à bientôt et bonne créations artistiques !
Sources : Wikipédia, Les pastellistes de France,
Bonjour Sophie,
Débutante en pastel, je découvre votre blog. Je suis vraiment bluffée par la qualité de vos portraits. Vous avez de l’or dans les mains. J’aime particulièrement votre travail de la lumière, la profondeur des regards et la douceur qui transparaissent dans chacune de vos oeuvres.
Quant à l’article, j’ai pu découvrir tout ce que l’on peut faire avec du pastel. J’ai hâte d’apprendre à peindre un paysage aux pastels à la manière de grands maîtres… C’est une très bonne idée